“résister aux cognitivistes”
grand meeting pour que vive la psychanalyse
9 et 10 février 2008 à la mutualité
Communiqué n°11
Chers collègues, “La Lettre en ligne” de l’ECF diffusait hier ma première diatribe anti-cognitiviste. Je reçois ce matin un mail de notre collègue Rabanel que je vous communique aussitôt (voir ci-dessous). Par ailleurs, mon ami Saint-Clair Dujon me signale le colloque des Laboratoires de sciences humaines et sociales de l'ENS tenu le 30 novembre dernier, de 9 à 18h, sur le thème Evaluer, dévaluer, réévaluer l'évaluation. “En particulier, m’écrit-il, intéressante intervention de Barbara Cassin sur "la qualité est-elle une propriété émergente de la quantité?", où elle développe ce qu'est l'idéologie Google : une citation, c'est un vote ; un clic sur un site, c'est un vote. Le mode d'évaluation de la recherche entraîne le chercheur à prendre l'instrument d'évaluation pour but de la recherche (publier pour être cité, pas pour avancer). Pour la langue de l'évaluation, voir Klemperer (Victor), Lingua Tertii Imperii. L'enregistrement sonore de ce colloque devrait être mis sous une semaine (en principe) sur le site "diffusion des savoirs" de l'ENS”.
Bien à vous, Jacques-Alain Miller, le 5 décembre 2007
Mail de Jean-Robert Rabanel ce matin, 10 h 37
Cher J.-A. Miller,
Après lecture de vos réponses à “La Lettre en ligne”, je voudrais vous dire un mot au sujet de Jean-Marc Monteil. C’est d’abord un souvenir.
Lors de la création de la Section clinique de l’Institut du Champ freudien à Clermont-Ferrand, je vous avais demandé de faire un courrier au doyen de la Faculté des Lettres pour qu'il accepte de nous louer des salles. Celui-ci avait accédé à notre demande, tout en nous priant d’en référer au Président de l'Université de l'époque, qui était justement M. Monteil.
Au téléphone, celui-ci ne me fit pas d’objection, précisant que nous étions si différents que nous ne nous porterions pas tort. Il ajouta aimablement qu’il avait pu apprécier favorablement l'aide que j'avais apportée en tant qu’analyste à quelqu'un de son proche entourage.
C'est le seul contact que j'ai eu avec J.M. Monteil, et, comme vous le voyez, il a été empreint de courtoisie. J'ai connu ensuite le déroulement de sa carrière, à Bordeaux d'abord, puis à Paris. À l'Université Blaise-Pascal de Clermont, il avait créé, sur les ruines de l’Institut de psychologie appliquée, son Laboratoire de psychologie de la cognition ; il fut le Président de l’Université de 1992 à 1997. Il est ensuite devenu le recteur de Bordeaux, et il a écrit alors un important rapport intitulé “Propositions pour une nouvelle approche de l'évaluation des enseignants”, qu’il a remis à François Bayrou, ministre de l’éducation nationale. Je suppose que ce rapport est pour quelque chose dans sa nomination en juillet 2002 comme directeur de l’Enseignement supérieur. Le ministre qui l’a nommé était Claude Allègre. Il est devenu le 21 mars dernier le président du conseil de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), poste qu’il a du quitter le 22 mai, au moment il était nommé chargé de mission auprès de François Fillon. C’est sans aucun doute l’homme de l’évaluation dans l’Université française. C’est son successeur au Laboratoire de Clermont, le Pr Fayol, qu’il a choisi pour superviser les nombreuses équipes de l’AERES qui vont toute l’année durant expertiser tous les cliniciens et psychanalystes universitaires. C’est leur triomphe.
On peut se demander comment la Faculté de psychologie de Clermont, où Foucault avait enseigné, qu’il avait marquée de son enseignement, avait pu devenir un bastion du cognitivisme. Voici ce qui s’est passé.
Pour le seconder à Clermont, Foucault avait choisi Mme Pariente. Celle-ci devint la directrice de l'Institut de Psychologie Appliquée. C’était une clinicienne, et nous l’avons toujours soutenue, Simone et moi, une ancienne normalienne, comme son mari, le philosophe Jean-Claude Pariente, dont vous connaissez la réputation, et qui est encore venu faire une belle conférence en mars dernier à l’Association Cause freudienne, sur la notion de nom propre, que nous allons publier. Mme Pariente aurait beaucoup de choses à dire sur son combat à Clermont, son éviction, et la suppression de l'Institut de Psychologie Appliquée au profit du Laboratoire de J.-M. Monteil.
René Haby, le premier ministre de l’éducation nationale sous Giscard, promoteur du “collège unique”, fut recteur de l’Université de Clermont. Alice Saunier-Séité, qui lui succéda aux Universités en 1978, refit la carte des Facultés de psychologie, et éradiqua de Clermont la clinique au profit du cognitivisme. Ce fut surprenant à l’époque, d’autant que Mme Pariente était giscardienne en politique alors que M. Monteil, lui, était connu pour être de tendance PS. Toujours est-il que c’est ainsi que la “Fac de psycho” de Clermont devint ce qu’elle est devenue.
C’est maintenant le Pr Fayol qui règne en maître absolu sur la psychologie à Clermont. De Monteil à Fayol, en 30 ans, pas un seul professeur, pas un seul maître de conférences, pas un seul assistant, pas un seul chargé de cours qui ait été clinicien. Le désert. C'est au point qu'il n'y a pas de DESS de psychopathologie à Clermont, cas unique selon Jean-François Cottes.
Bien cordialement.
Jean-Robert Rabanel
PJ : saisie sur ordinateur de votre lettre au doyen de la faculté des Lettres de Clermont, en date du 30 mars 1992
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DEPARTEMENT DE PSYCHANALYSE
UNIVERSITE DE PARIS VIII
PARIS, LE 30 mars 1992
LE DIRECTEUR
A Monsieur le Doyen de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand
Monsieur le Doyen et cher collègue,
Je me permets de vous écrire au sujet d’une « Section clinique » à Clermont-Ferrand, qui se recommande du Département que je dirige à l’Université de Paris VIII.
Le Dr Jean-Robert Rabanel est connu et apprécié depuis des années de moi-même et de la plupart des membres de l’équipe doctorale « Psychanalyse et champ freudien » que j’anime au Département. En particulier, le Dr Rabanel a été invité à collaborer à la « Section clinique » de Paris, que nous avons créée dans le cadre du service de formation permanente de l’Université.
De nombreux psychanalystes ont voulu à leur tour créer de telles « Sections cliniques » à l’étranger. C’est ainsi que j’ai accepté de donner les auspices du Département à des « Sections » qui se sont ouvertes à Bruxelles, Madrid, Rome, et Barcelone. Ces établissements sont gérés de façon autonome par leurs responsables locaux, en général à travers des associations sans but lucratif. Par contre, les programmes, les contenus et les méthodes d’enseignement sont concertés avec nous.
Une « Section clinique » s’est ouverte l’an dernier à Bordeaux, avec plein succès. Le Dr Rabanel a voulu en créer une à Clermont, et je lui ai donné mon appui.
S’il était possible à l’Université de Clermont-Ferrand de mettre des locaux à la disposition de ce projet, je souhaiterais vivement qu’elle le fasse. A mon sens, un véritable intérêt public s’attache en effet à la divulgation d’un enseignement méthodique et rationnel de la psychanalyse : le désir de « réaliser sa personnalité » permet des exploitations éhontées ; on ne peut supprimer ce désir, que nourrit le « désenchantement » moderne ; mais on peut l’orienter vers une discipline de vérité, qui n’est pas incompatible avec une perspective scientifique, et qui a sa place dans l’Université : la discipline analytique.
Multiplier des « Départements universitaires de psychanalyse » serait souhaitable ; à défaut, l’Université, en aidant les « Sections cliniques », peut jouer un rôle salubre.
Veuillez agréer, Monsieur le Doyen et cher collègue, les assurances de ma haute considération,
Jacques-Alain Miller
LA LETTRE EN LIGNE de l'École de la Cause freudienne - N°43 - 4 décembre 2007
Retour au communiqué de Jacques-Alain Miller
La Lettre en ligne ( LEL ) : Vous avez annoncé un grand Meeting à la Mutualité, les 9 et 10 février prochains, pour la défense et la promotion de la psychanalyse partout où elle est mise en cause, en particulier à l'Université. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Jacques-Alain Miller (JAM) : Je suis content de deux choses. D'abord, d'avoir réussi cette fois à annoncer une réunion bien à l'avance, deux mois, alors qu'entre le moment où j'ai inventé le Forum extraordinaire et sa tenue, il s'est écoulé moins de quinze jours. Deuxièmement, de tenir la semaine précédente un Colloque on ne peut plus officiel, "sous le Haut Patronage du Ministère de la Santé", pour un public restreint de 250, sur invitation uniquement, tandis que le Meeting de la Mutualité réunira 1000 personnes, sous le Haut Patronage, si je puis dire, de BHL et de Sollers. Dans ce meeting, on reprendra, en haussant le ton, certains des thèmes du Forum : l'étouffement de la Culture par les bureaucrates de l'évaluation forcenée, fanatique ; la recherche fondamentale en biologie étranglée par la folie NeuroSpin ; d'une façon générale, les ravages dus au culte imbécile du chiffre. Mais aussi on informera le public et on le mobilisera contre l'opération en cours dans l'Enseignement supérieur et la Recherche. Cette opération, c'est une "nuit des longs couteaux", ou, disons, pour être plus exact, une "année des longs couteaux". Lors de conciliabules animés par Jean-Marc Monteil, longtemps chef de la DES (Direction de l'Enseignement supérieur), aujourd'hui conseiller du Premier ministre, il a été décidé de ne pas attendre plus longtemps pour liquider la psychanalyse et la clinique à l'Université. Les cognitivistes veulent en finir une fois pour toutes avec les cliniciens, dont les cours drainent les flux étudiants les plus importants. Partout en France, les départements de psychologie clinique se voient malmenés, on leur refuse des habilitations, on leur colle des rapports défavorables, on leur supprime des enseignements, on les vexe systématiquement, on leur fait sentir qui tient le manche. L'équipe de recherche du département de psychanalyse, que je dirige, est elle-même dans le collimateur, elle est supposée être "visitée" en janvier sous la houlette d'un maître du cognitivisme français, grand évaluateur devant l'Éternel. J'ai déjà eu l'occasion de le moucher personnellement à deux reprises, il m'a fait ses excuses, oralement et par écrit, c'est oublié, je ne suis pas rancunier, -- mais je n'avais pas encore connaissance du panorama d'ensemble : ce que je prenais pour un incident mineur était la pointe de l'iceberg. En un mot, c'est l'offensive générale des cognitivistes, longuement méditée, réalisée en forme de Blitzkrieg, visant notre éradication. Ils se sont installés d'emblée dans la phase d'élimination sans phrase : notre ami Roland Gori, à la tête d'un syndicat réunissant plus de 200 psychologues cliniciens universitaires, et fort des milliers de signatures (plus de 8 000) réunis par son manifeste "Sauvons la clinique", a sollicité un entretien auprès de Mme Valérie Pécresse ; au bout d'un mois, celle-ci lui a fait répondre que son agenda était trop chargé pour lui permettre de le recevoir dans des délais convenables, et lui a signifié qu'elle ne le recevrait pas. Donc, hautement représentatif de la psychologie clinique universitaire, Gori, avec lequel nous faisions jadis, Roger Wartel et moi, la revue Cliniques, ne sera pas même reçu par un membre du cabinet. Le message est clair, il est univoque : vous êtes déjà morts.
Or, je vais sans doute vous étonner, je ne crois pas du tout que Valérie Pécresse soit personnellement engagée dans cette opération d'extermination. Je sais par Catherine Clément, qui la connaît, que la ministre, alors qu'elle était simple députée, ne manquait pas de sympathie pour notre combat contre l'amendement Accoyer, car elle avait dû s'opposer à ce que l'on fasse bouffer de la Ritaline à ses enfants, et elle a une petite idée des excès où conduit l'idéologie cognitivo-comportementaliste. Non, Mme Pécresse est actuellement l'otage de la politique -- qui n'a rien de libéral, qui est d'inspiration PS -- que suit depuis plusieurs années la DES. Toute la question pour moi est de savoir si elle aura la force de caractère et l'acuité politique qui lui permettront de s'extraire de cette politique. Celle-ci, qui s'est imposée sous l'impulsion de Monteil, se présente comme moderniste et seule capable de dynamiser l'Université et la recherche en mettant au pas les universitaires et les chercheurs, leurs hiérarques, leurs féodalités, leurs jardins secrets. En vérité, c'est une politique parfaitement ringarde, celle d'une bureaucratie qui ne se sent plus, qui croit que son heure est venue, qui fait preuve d'un autoritarisme hyper-napoléonien, et qui croit ce faisant singer les Américains. Rions ! Ce sont nos mêmes vieux hauts fonctionnaires de toujours, la même morgue, la même arrogance, doctrinant urbi et orbi sur des domaines dont ils ne connaissent rien. Le recteur Monteil est un psychologue social cognitiviste de petite envergure, dont l'épistémologie est celle d'un manager, non celle d'un savant. C'est un fonctionnaire d'autorité, qui parle en maître aux universitaires, qui veut "décloisonner" les disciplines, et ne plus voir qu'une seule tête, habitée de la même "méthodologie". Centralisation, homogénéité, nivellement, ignorance, tous les ingrédients sont là pour produire un désastre de type nouveau, exponentiel par rapport à celui qui prévaut présentement. Le combat va être dur, car leur dispositif est en place, consolidé, accroché au terrain. Le niveau Premier ministre est tenu par l'adversaire. Nous n'avons rien vu venir, rien préparé. Mais ce combat est gagnable, je vous l'assure. L'excès même de cette offensive, son ampleur sans précédent, cette volonté manifeste de liquidation sans phrase de la psychanalyse à l'Université, alors que Lacan continue d'être en France comme à l'étranger un phare de l'intelligence française, si je puis dire -- et quel département universitaire a la projection internationale du département de psychanalyse ? -- l'hubris du cognitivisme triomphant, tout cela le promet à la Roche Tarpéienne. Depuis bientôt 30 ans, les cognitivistes terrorisent l'Université, influencent l'administration, les médias, le public. Ils ont vaincu d'innombrables adversaires, les ressentiments se sont accumulés, ils se sont cru tout permis. Eh bien, c'est terminé. Le drapeau de la résistance est levé. Les psychanalystes ne plieront pas. D'abord, désigner l'offensive ennemie : ce sera LNA 9, qui sortira fin janvier. Ensuite, lui opposer une force de frappe à déploiement rapide : ce sera le Meeting de la Mutualité, avec BHL et avec Sollers, et les principales figures des victimes du cognitivo-évaluationnisme. Et après, la guerre de reconquête, qui sera longue et acharnée. Évidemment, je m'amuse à utiliser ce vocabulaire guerrier. Mais tout de même, les cognitivistes nous ont déclaré une guerre qui, intellectuellement, professionnellement, est une guerre à mort. Donc, nous sommes contraints de suivre, et de les rejoindre aux extrêmes. Donc, il ne s'agit pas d'une guerre défensive, mais bien d'une contre-offensive, visant la déroute de l'adversaire. Elle se déploiera sur plusieurs fronts. Il y a le front psy, certes, mais il y a aussi les biologistes non cognitivistes, il y a les humanités, il y a aussi les mathématiciens. En date du 21 mai dernier, trois institutions représentant la communauté mondiale des mathématiciens et statisticiens, ICIAM, IMS, et IMU (The International Council of Industrial and Applied Mathematics ; the Institute of Mathematical Statistics ; the International Mathematical Union) ont établi une Commission conjointe sur "l'évaluation quantitative de la Recherche", mettant en question la "culture of numbers" qui s'est progressivement imposée devant l'impuissance à mesurer adéquatement la qualité. Qui m'a fait connaître ce texte précieux, que je vais traduire et publier ? Bernard Monthubert, professeur à l'Institut mathématique de Toulouse, successeur de Trautmann au CA de "Sauvons la recherche", qui me l'a adressé à l'occasion du Forum extraordinaire. Nous ne sommes pas seuls. Nous sommes loin d'être seuls. Nous sommes plus nombreux et bien plus savants et bien plus agiles que la secte cognitiviste. Celle-ci n'a prospéré que par notre négligence, par notre dispersion, elle a surfé sur le mépris intellectuel que nous avions pour cette doctrine d'imposture, elle a gagné les esprits de nos gouvernants en leur promettant, tel l'esprit malin, qu'ils seraient comme des Dieux. C'est fini, tout ça. Nous sommes réveillés. Nous allons réveiller les autres. Et le cauchemar finira par se dissiper. Et, une fois dessoulés, ils diront : "Comment avons-nous pu ?" Écoutez-moi bien : le reflux du cognitivisme a commencé.
LEL : Il semble qu'à l'origine des attaques que vous dénoncez, on trouve une agence dépendant de l'État : l'AERES (Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement). Pouvez-vous nous en dire plus sur cet organisme ?
JAM : L'AERES est l'usine à gaz inventée par les cognitivo-évaluationnistes pour mettre l'Université française en coupe réglée, et accomplir le programme apocalyptique de la secte. Qui l'a conçue ? L'inévitable Monteil. Il en a été nommé président le 21 mars dernier. Il a quitté ce poste le 11 juillet suivant, quand il a été appelé au cabinet de François Fillon. C'est lui qui continue de tirer les ficelles, comme d'ailleurs à la DES. Qui traite le secteur psy à l'AERES ? Le Pr Fayol, de Clermont-Ferrand. Qui est leur correspondant à la DES ? Le président de la FFP (Fédération française de psychologie), Lécuyer. C'est le trio de la mort, les concepteurs de l'opération "Zéro psychanalyse à l'Université". LNA 9 les présentera un par un au public : l'homme et l'oeuvre. Le style sera froid, chirurgical. Les faits parlent d'eux-mêmes. C'est maintenant à Valérie Pécresse de savoir si elle veut rester dans l'Histoire comme la ministre qui aura laissé assassiner la psychanalyse. Mais quoi qu'il en soit de sa décision, la psychanalyse aura sa revanche, et avec elle, les discours et les personnes que le cognitivisme a ravagés.
LEL : Outre le forum, quels sont vos projets ?
JAM : Oui... Trop nombreux pour que je les énumère ce matin. Revenez à la charge durant la trêve des confiseurs, il y aura une petite accalmie.